Exclusif : en visite chez Gordon Murray Automotive... avec le maître des lieux
Le nouveau siège social de Gordon Murray Group est presque terminé et la production de la T.50 y bat déjà son plein. Suivez Sport Auto dans une visite exclusive, en compagnie du maître des lieux… avant un petit tour en passager à bord de la supercar anglaise.
La découverte du bâtiment est une première surprise : grand,
moderne, imposant, il n’a rien de l’atelier d’un artisan sans
lendemain. La seconde grosse surprise de la journée est l’arrivée
de Gordon Murray en personne.
Bien que son nom soit inscrit sur l’édifice, nous ne nous
attendions pas à le voir apparaître. Le petit monde de l’automobile
sait, sans en faire étalage, qu’il a été confronté à de sérieux
problèmes de santé.
Visiblement, il se rétablit correctement, arborant un large sourire
et une chemise chamarrée, sa manière à lui de manifester qu’il se
sent bien.
Nous sommes parmi les premiers visiteurs (les travaux ne sont pas
encore terminés) et Gordon Murray a donc décidé de nous faire
découvrir les lieux. Je l’ai déjà entendu dire qu’il s’amusait
autant à concevoir des bâtiments que des voitures.
Lorsque nous commençons notre déambulation, nous nous rendons
immédiatement compte de l’amour du design et des matériaux de
qualité, ainsi que de l’attention portée aux détails qui
caractérisent tout ce qu’il fait.
Un nouvel écrin
Highams Park, à Windlesham, dans le comté anglais du Surrey, est
un site de 24 hectares, occupé avant sa faillite par la société
Kamkorp (propriétaire, pendant un temps, des entreprises
Frazer-Nash et Bristol Cars) et, avant cela, par la British Oxygen
Company.
Il reste sur le site une bâtisse délabrée, vieille de plusieurs
dizaines d’années, qui, vue en plan, a la forme d’une molécule
d’oxygène. « C’était beaucoup de travail », observe Murray
d’un air amusé, étant donné que personne n’a jamais vu l’endroit
d’en haut.
Gordon Murray Group (GMG) est en train de déménager toutes ses
activités depuis les villes voisines de Shalford et Dunsfold, après
avoir récemment vendu ses activités liées aux véhicules
électriques, Gordon Murray Technologies, pour se concentrer sur la
fabrication de supercars.
Le nouveau bâtiment, plutôt imposant, abrite déjà les fonctions
commerciales et de gestion de GMG, accueille les visiteurs, les
aide à configurer les voitures, construit des autos sur commande
dans un immense hall d’assemblage manuel à l’arrière (on dirait
deux ou trois ateliers d’assemblage de Formule 1 réunis en un seul)
et disposera bientôt de son propre atelier de peinture. Il y a
également une salle d’exposition pour les voitures de
collection.
A côté du hall d’assemblage se trouve un centre d’entretien très
actif, qui s’occupe de quelques-unes de la cinquantaine de T.50
déjà en circulation. Gordon Murray est fier de constater qu’un bon
nombre de propriétaires semblent réellement utiliser leurs
voitures, plutôt que de les conserver comme des pièces
décoratives.
Nous parcourons l’ensemble, admirant la simplicité, la logique, la
qualité avec lesquelles il s’attaque à tout. Bientôt, ce bâtiment
sera rejoint par un studio de conception et un centre de recherche
et de développement, flanqués d’une courte piste d’essais. Ce n’est
pas pour la vitesse, nous assure Murray, le conseil municipal
(jusqu’à présent très coopératif) n’apprécierait pas cela.
Il restera de la place pour exposer sa propre collection, un
assortiment fascinant des voitures qu’il a construites lui-même à
ses débuts et des voitures qu’il aime inconditionnellement et dont
il pense qu’elles l’ont influencé dans sa carrière.
Un événement commémoratif des 60 ans sera organisé prochainement
et, une fois que Highams Park sera achevé (Gordon Murray tient à
terminer ce qu’il entreprend), il est prévu de l’ouvrir aux
visiteurs.
La dernière étape, typique de quelqu’un qui a apporté tant
d’innovation à l’industrie automobile, sera la création d’un
institut de formation sur le site, afin d’attirer de jeunes talents
dans l’automobile.
Nous changeons de guide pour la deuxième partie de notre
découverte. Place désormais à Dario Franchitti, quadruple champion
d’IndyCar et triple vainqueur des 500 Miles d’Indianapolis. Il
n’est pas du tout acquis qu’un pilote de course s’intéresse aux
voitures de route.
Certains s’en détournent, car pour eux les sensations ressenties
sur piste au volant d’une voiture de course ne peuvent être
approchées par une voiture de série. Dario n’est pas de cette
espèce. « J’adore mes voitures de route, déclare
l’Ecossais, alors que nous nous dirigeons vers une GMA T.50.
J’aime tout ce qui touche à l’automobile. Je suis comme ça depuis
que j’ai 5 ans. »
Dans la mesure où il se déplace avec une
Lancia Delta Integrale, possède une Ferrari F40 depuis vingt‑cinq
ans (et la conduit aussi souvent que possible) ou utilise
régulièrement une Porsche Carrera GT, une Ferrari F355 ou une Aston
Martin V8 Vantage de 1984, sa sincérité ne peut être remise en
question.
A bord de la T.50
C’est ce qui a fait de lui la personne idéale pour Gordon Murray
Automotive, où, d’après sa carte de visite, il est directeur de la
marque, des performances et des produits.
De manière moins formelle, il sert d’intermédiaire entre les
ingénieurs de développement et Gordon Murray pour faire en sorte
que les voitures de GMA ressemblent à ce que le patron aimerait
qu’elles soient. Il ne s’agit pas non plus d’un simple ambassadeur,
mis en avant pour satisfaire les clients.
Un jour après notre rencontre, il s’envolera pour l’Espagne pour
une semaine d’essais. C’est désormais son métier à temps plein (son
jeune frère Marino joue un rôle similaire pour Singer, le
restaurateur de Porsche 911).
Tous les pilotes n’ont pas souhaité faire ce grand écart entre une
carrière où le succès repose sur des performances mesurées en
millièmes de seconde et une autre qui implique quasiment d’oublier
les chiffres. Murray dit qu’il « se moque » des éléments
mesurables.
La T.50, malgré sa vitesse sans doute prodigieuse, a été conçue,
comme la McLaren F1, pour engager son conducteur, et pas seulement
pour aller vite. Notre discussion avec Dario Franchitti est
émaillée de mots tels que « sensation » et « réponse
».
L’équipe de GMA est particulièrement fière de son poids
en ordre de marche, qui commence par un 9. Vient mon tour de monter
à bord, dans l’un des sièges passagers. C’est la première fois que
je me trouve à l’intérieur d’une T.50.
Franchitti sort au pas d’une intersection, en troisième, pour
démontrer la souplesse du moteur et le fait que le V12
atmosphérique développé par Cosworth n’a que très peu de kilos à
déplacer. « Vous le sentirez lorsque vous la conduirez,
dit‑il. Vous sentirez l’absence de poids et la rapidité de la
réponse. »
Je ne conduirai pas aujourd’hui, mais il y a
des choses que l’on peut constater depuis l’un des sièges latéraux.
L’une d’entre elles est la souplesse de la suspension et ce qui
semble être une garde au sol généreuse par rapport aux normes des
supercars.
« C’est incroyablement utile, s’enflamme Franchitti.
On passe par‑dessus tous les dos‑d’âne. C’est dingue. J’ai
vraiment essayé, mais je ne l’ai jamais fait talonner ni frotter,
que ce soit dans les rampes de parking, sur les pentes
californiennes, même sur le circuit d’essais de Nardò. »
La souplesse de suspension favorise également la motricité, bien
que sur une route comme celle que nous empruntons, humide, ouverte
à la circulation, et avec 664 ch, de telles choses soient
relatives.
Mais « elle a une très bonne motricité, assure Dario
Franchitti. Gordon déteste les barres antiroulis arrière, alors
il n’y en a pas ». Les pneus, des Michelin Pilot 4 S, sont
très axés sur une utilisation routière.
« Et ils sont disponibles sur l’étagère, précise
Franchitti, ce qui permettra aux clients de s’approvisionner
plus facilement. » Pour une voiture aussi performante, ils
sont également de taille relativement modeste : seulement 295 de
section à l’arrière.
« L’un de nos plus grands défis a été de faire en sorte qu’ils
communiquent avec vos mains, poursuit Franchitti. Lorsque
nous y sommes parvenus, cela a été une immense satisfaction. Plus
un pneu est adhérent, plus le moment où il décroche est rapide.
»
La direction assistée de la T.50 ne fonctionne qu’en
dessous de 10 km/h, pour faciliter les manœuvres. Au‑delà, c’est
sans filtre. « Elle n’a pas besoin d’un ratio de
démultiplication ultra‑rapide pour faire croire aux gens qu’elle
est réactive, déclare Franchitti, ce que je déteste dans
certaines voitures modernes. »
Quelques-unes d’entre
elles, cependant, ont de très beaux moteurs. Tout comme la T.50. Je
m’en voudrais de ne pas mentionner le V12 de 4 litres, conçu sur
mesure, parce qu’il sonne très, très bien.
« La boîte à air en fibres de carbone est réglée pour produire
une résonance en fonction de l’angle de l’accélérateur, et le bruit
que nous ressentons est entièrement lié à l’angle de
l’accélérateur, explique le pilote essayeur. C’est l’une
des choses que Gordon a apprises de la McLaren F1, dont le bruit
d’admission est incomparable. C’est plus difficile avec un moteur
de plus petite cylindrée, mais nous avons tous su quand nous
l’avons trouvé. »
L’exclusivité pour feuille de route
Outre la souplesse, le son et la faible inertie, ce qui me
frappe dans la T.50, c’est la facilité avec laquelle notre guide
peut dessiner ses trajectoires, même sur ces routes anglaises,
grâce à la largeur relativement modeste de la voiture (1 850
mm).
L’empreinte de la F1 est similaire, et je me demande si un pilote
téléporté de l’une à l’autre, sans rien savoir de la lignée,
remarquerait que les deux sont issues de la même main. « Je
pense qu’en ce qui concerne la position assise et l’éthique,
oui, admet le pilote. Mais la conduite est complètement
différente. Et ce n’est pas une petite différence.
L’un de mes souvenirs les plus forts, que je garderai en mémoire
toute ma vie, a été une session où Gordon conduisait cette T.50
devant moi, sur une route de montagne, tandis que j’essayais de le
suivre au volant d’une F1.
Je me suis vraiment dépouillé pour réussir à ne pas me faire
distancer. Et j’étais soulagé d’en sortir à la fin ! Vous constatez
à quel point les choses ont évolué en trente ans. »
Cette
course-poursuite improvisée l’a poussé à vouloir absolument devenir
propriétaire lui-même d’une T.50. Sauf qu’elles étaient déjà toutes
réservées. « J’ai dû persuader le grand patron de me vendre un
prototype », dit-il.
Alors pour la T.33, il n’a pas répété l’erreur, en passant commande
à temps ! Notre dernier interlocuteur n’est autre que le P.-D.G. de
Gordon Murray Group, Phillip Lee.
Après une carrière à l’international, ce financier a intégré le
géant chinois Geely, où il a fini par se charger de Lotus, avant
d’atterrir chez GMG, il y a environ cinq ans. Il en est devenu
P.-D.G. en 2022, lorsque le fondateur a pris le poste de
président.
A l’heure actuelle, Phillip Lee est extrêmement occupé à faire
construire des voitures, dans la position confortable de quelqu’un
qui joue à guichets fermés, jusqu’en 2028. L’entreprise est
actuellement à mi-chemin de la fabrication de ses 100 T.50.
Ensuite, 25 T.50S Niki Lauda, réservées à la piste, seront
produites plus tard dans l’année, avant que l’attention ne se porte
sur la T.33, dont la livraison est prévue pour 2026. Après cela, il
y aura une T.33 Spider et au-delà, potentiellement, une T.33 très
affûtée.
« Lancer la production de la T.33 l’année prochaine sera une
tâche très importante, déclare Lee, même si les
caractéristiques de cette supercar sont plus simples que celles de
la T.50. En effet, la T.33 bénéficie d’une homologation mondiale,
alors que la T.50 n’est homologuée que pour de petites séries sur
les marchés où elle est vendue. »
Si tout se vend,
pourquoi ne pas produire plus ? Il rejette fermement cette option.
« En plus de nos valeurs fondamentales, comme la perfection de
la conduite, nous offrons l’exclusivité. Si vous dites que vous
allez construire 100 voitures, c’est ce que vous devez faire. Nous
ne voulons pas être des stars d’un seul tube. Nous bâtissons une
entreprise. »
Environ 50 voitures ont été fabriquées en
2024 et l’objectif pour 2025 est de 120 exemplaires, pour une
production idéale de 150. D’ici là, GMG aura ajouté 50 personnes à
ses 350 employés actuels.
Un cycle de nouveaux modèles est prévu jusqu’en 2040, avec des
plateformes et des motorisations déjà décidées. Phillip Lee insiste
sur le fait que l’entreprise est engagée dans la recherche sur les
motorisations hybrides et à hydrogène.
« L’avenir du marché, c’est une cible mouvante, explique-t-il.
Les grandes villes élaborent leurs propres réglementations, et la
situation est encore plus fragmentée aux Etats-Unis. Mais nous
sommes prêts pour affronter le futur. »
Retrouvez notre reportage au sein de l'usine de Gordon Murray Automotive dans le Sport Auto n°758 du 28/02/2025.


